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Projet de manifeste pour un nouveau Congrès du Peuple européen
Par Bernard Barthalay
Exercice d'ingénierie institutionnelle (INSA de Lyon) Explication sur le précédent support consacré à l'exercice d'ingénierie institutionnelle Par Bernard Barthalay © (05/12/2006)
LE PEUPLE A LA PREMIERE PERSONNE Un mot d'explication pour commencer. Encore un site sur l'Europe ! J'entends déjà quelques esprits chagrins ricaner (vainement : cela fait plus d'un demi-siècle que cela dure) au sujet de l'idéal poursuivi sans relâche, du rêve hors d'atteinte. Et de reproduire le discours convenu sur les intérêts inconciliables, quand ce ne sont pas les peuples irréconciliables. Tout ceci me semble contredit par la durée : la vérité, c'est que la Communauté imaginée par Monnet a tenu et tient encore à vingt-cinq, contre l'attente des mêmes qui escomptaient la culbute. Monnet est deux fois présent sur notre page d'accueil : en portrait et à la tête de la Haute Autorité de la CECA , alors qu'il la présidait, traversant le pont sur l'Alzette en face du siège de l'institution.
D'ailleurs, à propos de peuples, puisque c'est de ‘peuple européen' qu'il s'agit ici, je tiens à préciser d'emblée que ceux qui s'exprimeront dans ces pages acceptent l'idée d'un peuple européen. Un peuple constitué de plusieurs peuples. Formé de citoyens qui jouissent, en vertu du Traité sur l'Union européenne, d'une citoyenneté européenne au-delà de leur citoyenneté nationale. On lira à la rubrique ‘Charte' qu'un de nos projets est d'en finir avec le double langage. En choisissant le nom de ce site, je n'ai pas eu d'états d'âme. Je me suis simplement souvenu qu'au moment de lancer une campagne pour une Constitution européenne, après l'échec de la Communauté politique européenne, qui devait voir le jour avec la Communauté européenne de défense, Spinelli (présent aussi sur notre page d'accueil) avait décidé de publier un journal qui portait ce titre : Peuple européen . Les circonstances sont assez semblables, puisque le projet de Traité constitutionnel vient de subir un revers. Et que le peuple qui s'est exprimé directement demande que la question d'une constitution européenne, dont il ne nie pas l'actualité, soit posée et résolue autrement. On notera d'ailleurs qu'à l'occasion des référendums français et néerlandais nombre de personnalités, et non des moindres, parmi lesquelles des candidats déclarés à l'élection du Président de la République en France, ont parlé de ‘peuple européen'. Ce n'est donc apparemment plus un tabou.
Oui, l'intention maîtresse qui nous anime est d'imaginer, dans la situation créée par le ‘non', une initiative qui active un demos européen, en posant des actes successifs qui le constituent en détenteur, en acteur et en bénéficiaire du pouvoir constitutionnel européen, lui-même à créer. Il faut donner du souffle à l'Europe, qui en manque singulièrement. Le temps nous est compté, mais le monde change vite, et les Européens aussi. Et pour commencer, ce peuple, ou du moins ceux qui seront mandatés pour s'exprimer en son nom et, en attendant, ceux qui tentent d'exprimer et veulent créer les moyens d'expression de son attente européenne, doit, ou doivent, apprendre à s'exprimer à la première personne , sans le truchement des Etats et de leurs chefs. C'est pourquoi j'avais déjà, dans un livre assez prémonitoire, publié en 1999 (L'Harmattan), qui anticipait largement le processus constitutionnel, une convention et la teneur de son œuvre, ainsi que les diverses issues possibles, suggéré que la Constitution devrait commencer par ces mots : « Nous, les citoyens des Etats d'Europe … ».
Depuis, j'ai réalisé que j'avais d'ailleurs vraisemblablement, victime du climat général d'autocensure du discours européen, pêché par timidité, et que j'aurais sans doute dû écrire « Etats Unis », ou « Etats-Unis ». Après tout, que sont les Etats de l'Union européen, sinon unis par cette Union ? Ne voulant pas préjuger pour l'instant de l'issue du débat constitutionnel futur, celui dont le peuple a été frustré, même s'il y était représenté, et largement, nous écrivons ici « We the people ... ».
Le parallèle avec l’Amérique est trop évident, pour qu’il me soit permis de l’éluder. Il y a quelques années, le chancelier Kohl, dont les mérites européens sont immenses, avait déclaré, dans une de ces formules définitives dont les hommes politiques ont le secret, quand ils veulent notifier qu’une question les embarrasse, que les Etats-Unis d’Europe étaient une formule dépassée. Depuis, un conventionnel français, proche d’un candidat aux présidentielles, a prononcé ces mots en séance : « Nous sommes ici pour faire les Etats-Unis d’Europe ! ». Peut-être pour marquer une distance avec Giscard d’Estaing. Il reste que le Premier ministre de Belgique vient de publier un livre sous le titre « Les Etats-Unis d’Europe ». Certaines vérités qui n’étaient plus bonnes à dire, aujourd’hui le redeviennent.
Au demeurant, qui le parallèle pourrait-il bien gêner ? Les Etats d’Europe sont unis. A moins de vouloir revenir sur cette heureuse réalité, qui pourrait refuser le patronage de Victor Hugo, qui fut le chantre des Etats-Unis d’Europe. Quand, avec quelques amis, dont Jean Elleinstein, Jacques Moreau, Robert Toulemon, Philippe Laurette, j’avais fondé à Paris dans les années quatre-vingt, le Club Victor Hugo pour les Etats-Unis d’Europe, ce petit groupe avait rallié à l’époque autour du projet de Traité d’Union européenne du Parlement européen, et sous le haut patronage de Maurice Faure, des personnalités françaises aussi diverses que Fernand Braudel, Jacques Le Goff, Michel Albert, Maurice Faure, Edgar Morin, Jacques Lesourne, Joël de Rosnay, René Passet et bien d’autres. Que tous ceux que je n’ai pas cités me pardonnent. Personne n’a jamais soulevé la moindre objection au sujet des Etats-Unis d’Europe, où l’on pouvait reconnaître à la fois le projet spinellien d’une démocratie européenne et la référence au Comité pour les Etats-Unis d’Europe animé par Jean Monnet, naturellement comprise par tous ceux qui avaient participé à ses travaux, de Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand.
Moins anecdotiquement, les Européens gagneraient à se voir avec le regard des autres. Même s’ils éprouvent quelques difficultés à comprendre pourquoi nous ne réussissons pas à sceller notre Union constitutionnellement, ni surtout à utiliser notre potentiel, les Américains sont nombreux à reconnaître dans l’Union européenne une forme d’Etats-Unis d’Europe, et l’écrivent. Ils s’avisent même qu’il faudrait compter avec ces Etats-Unis-là, concurrents, rivaux ou partenaires. Les Européens, eux, se persuadent qu’ils ne comptent pas et se ferment les voies de la puissance, donc de la participation, à la première personne, aux affaires mondiales. Comme ces hommes et ces femmes de la photo présentée en page d’accueil, semblant déplorer un émiettement et chercher la recette d’un assemblage, les Européens tournent le dos au monde qui va son train, un train d’enfer, tant qu’ils hésitent à proclamer qu’ils existent en tant que tels.
L’acte constitutionnel à imaginer est aussi le moment d’une prise de conscience : les Européens ne peuvent à la fois s’abstraire du monde, donc se dérober à leurs responsabilités, et vilipender l’hyperpuissance par défaut. Une démocratie européenne, c’est aussi la volonté des Européens de défendre ensemble ce qu’ils ont en propre, sans céder eux-mêmes à la tentation, si souvent présente dans leur histoire, de la domination. Cela devrait suffire pour imaginer la forme de gouvernement dont ils ont besoin. Ici encore, Monnet, le premier homme d’Etat de l’interdépendance, a tracé le chemin. Bernard Barthalay
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